jeudi 20 août 2009

Martha Washington: Give me Liberty

Par Louis Deroys, août 2008.

Give me Liberty TPBAbsent pendant 4 ans du monde des comics, Frank Miller revient avec un opus engagé et ultraviolent chez Dark Horse Comics, Martha Washington: Give me Liberty. Pour propulser l'oeuvre, il s'entoure au dessin de Dave Gibbons encore tout auréolé de l'incroyable succès de Watchmen. Retenons que ce choix est historique puisqu'il permet à un petit éditeur de produire une oeuvre phare de deux stars du médium du moment. C'est aussi un choix politique de Miller qui veut casser le quasi monopole de Marvel Comics et DC Comics pour lesquels il travaillait au préalable. Give me Liberty est une vision vitriolée de l'Amérique républicaine, puissance mondiale omniprésente dont le seul contre-pouvoir à l'époque est l'empire communiste.

Give me Liberty #001Tout commence par un sinistre constat en 1995 : il ne fait plus bon vivre aux Etats-Unis d'Amérique. La faute en revient au président / dictateur Erwin Rexall. Elu en 1996, il a transformé ce pays en un état guerrier présent sur tous les fronts du monde via la police armée pacifique, la P.A.X. En 2008, les Etats-Unis sont en guerre avec 40 pays dans le monde entier et doivent faire face à une possible explosion indépendantiste de leurs états. Rien ne va plus et deux personnes au monde vont changer cela : Martha Washington et Howard Nissen. La première est une femme noire de Manhattan et le second est le ministre de l'agriculture de Rexall. Il n'y a aucun point en commun avec eux et tout les rend différents. Martha est née dans le Green, anciennement île de Manhattan que Rexall a transformé en un ghetto pour les pauvres, les exclus, les malades en tous genres. Dans ce monde en proie à la misère, Martha vit une existence chaotique entre l'école, sa vie avec sa mère, ses frères et son chat et puis la rue et ses dangers. C'est là où son père est mort quand elle avait 5 ans dans une manifestation contre la politique de Rexall. C'est là qu'elle doit s'habiller en garçon, qu'elle court pour sauver sa vie. C'est là où elle commet son premier meurtre dont elle ne se remettra pas et qui la conduira dans un minable hôpital psychiâtrique. Sa bonne bouille, ses nattes, son regard innocent disparaissent pour un regard vide et un habit vert qui l'entoure tandis que les cris des fous la poursuivent partout. C'est cette tunique qui l'accompagne dans son retour à la rue quand l'Etat, devenu trop déficitaire, ferme un par un les centres psychiâtriques. Puis elle s'engage dans les P.A.X. où, comme dans la Légion Etrangère, on ne demande rien mais où on exige beaucoup. Sa mère lui en voudra sûrement car elle a déjà perdu un fils dans ces forces de déploiement. Mais elle doit faire sa vie pour vivre.

Give me Liberty #004Et puis tout marche si bien, elle est même promue sergent en moins de 6 mois. Pas mal, non ? Howard Nissen est un ministre en désaccord avec Rexall. On murmure même qu'il ne va pas durer dans son gouvernement. Humain, rondouillard, la cinquantaine et père tranquille, il échappe aux bombardements de la Maison Blanche perpétrés par un groupe inconnu. Sous les flashs et les micros, il devient le nouveau président et programme des changements radicaux. Visionnaire, il simplifie tout et ne cède pas aux nombreux groupes de pression financiers. Il modifie les priorités des P.A.X. et arrête les conflits où son pays était engagé. Il redirige les actions des P.A.X. au Brésil pour aider à la reforestation de l'Amazonie au grand dam des trusts alimentaires. Il règle le problème des Indiens, les premiers natifs des Etats-Unis, en leur donnant une raffinerie de pétrole et la libre gestion de son exploitation. Enfin, il met fin au Green et entreprend la construction d'un programme de santé et d'aide sociale. Tout naturellement, en 2009, il est élu prix Nobel de la paix. Et puis, comme tout cycle naturel, le bon va être balancé par le mal. Le lieutenant de la P.A.X., Standford Moretti, est un ambitieux avec des réseaux énormes. Il est le supérieur de Martha. Froid, calculateur, il est à la botte des trusts alimentaires. Ses premiers plans dans la forêt brésilienne sont remis en cause par Martha, sa petite subordonnée. Il ne commettra plus la même erreur. Stratège exemplaire, il s'introduit malicieusement dans le cercle de Nissen et devient très rapidement un conseiller puissant et influent. Peu à peu, il déconstruit son président et détruit ses précieuses réformes. Il vise le pouvoir présidentiel et cumule les succès : l'atomisation de l'état apache, l'assassinat du vice-président, le meurtre de Nissen, l'accession au pouvoir des forces P.A.X. et le nouvel enfermement de Martha dans un hôpital psychiâtrique mais cette fois-çi pour un reconditionnement cérébral. Mais Martha lui donne du fil à retordre. La belle est un roseau : on la plie, on la triture mais elle revient toujours, droite comme un « i », droite comme la justice. Pour Moretti, accéder au pouvoir est une chose, le conserver en est une autre. Alors après l'ascension, la dégringolade : Moretti ne maîtrise plus le chaos qu'il a mis en place. N'est pas chef d'Etat qui veut. Le château de cartes s'écroule, les Etats-Unis sont au bord d'une guerre civile entre tous les états membres. Mais heureusement un homme resurgit pour reprendre les choses en main. Enfin plutôt un cerveau et plus précisément celui de ... Rexall revenu dans un revirement de situation plutôt cocasse. Moretti est arrêté, jugé et condamné à la peine capitale. Dans un final tragique, Martha lui rend visite dans sa cellule de prison. Elle lui prête sa ceinture après un monologue terrifiant et regarde Moretti s'étrangler et rendre l'âme.

Give me Liberty #003Voici le résumé de cet épique récit où nous laissons volontairement de côté quelques autres personnages. L'intrigue et les bouleversements se succèdent à un rythme effréné et les come-backs sont légion. On notera le retour de Rexall sous forme de cerveau ambulant, l'apparition du sergent-chef de la police de santé, un robot fou furieux et indestructible et le chef apache Redfeather qui jouera un rôle clef dans la libération de Martha. Grâce à ces alliés, Martha rend à l'Amérique son espoir de se reconstruire. Martha la femme noire partie de rien devient la sauveuse de l'Amérique. Frank Miller lâche ses humeurs et ses démons dans cette histoire. Il ne veut pas de complaisance vis-à-vis des puissantes multi-nationales comme Mc Donald's qui contribue à la déforestation de l'Amazonie ; il est contre le nucléaire à fin alimentaire (ou plus ?) ; il en a assez des héros blancs de peau. Il faut noter que la couverture du premier numéro où la statue de la Liberté a le visage de Martha avec une tiare couverte de seringues fit grand scandale à l'époque. Give me Liberty et la parution chez un petit éditeur vont lui permettre de porter loin ses revendications. Toujours engagé pour faire avancer les choses, il livre ici un récit à la hauteur de ses convictions. Frank Miller a utilisé une narration qui va crescendo : on commence par des origines troublantes, dérangeantes, qui prennent les tripes et le coeur puis on flingue, on tue, on atomise. On crie, on s'exalte pour chaque action héroïque de Martha et de ses complices. Il y a cet humour grinçant qui écorne ces belles images que nous promet le nucléaire : vous voulez de belles tomates de 50 centimètres de diamètre ? Non merci ! Dave Gibbons est l'écho de cet opus révolté. Chaque numéro est sublime. Il a une manière élégante d'alterner les scènes de combats avec un mélange d'immobilisme et d'action. Et puis il y a ce premier numéro qui dépasse les trois autres tant il est parfait : Martha est bouleversante en tant qu'écolière tricheuse et curieuse, puis tueuse par auto-défense et enfin guerrière fatiguée mais qui ne renonce jamais. Dans le premier numéro, il y a une page où Martha est assise et nous regarde avec détermination, les cheveux jaunis par des gaz chimiques. Des larmes coulent mais elles sont stoppées par sa main. Regardez-la car elle marque la série à elle seule. La puissance du dessin de Gibbons est vraiment à son apogée dans cette page extraordinaire. Les trois numéros suivants sont un ton en dessous car le dessin et la narration sont moins travaillés. Néanmoins, l'oeuvre est remarquable. Toutefois, nous vous invitons à ne pas acheter les autres numéros (en oneshot essentiellement) mettant en scène Martha Washington. Le duo s'est perdu dans des errances ridicules où la pauvre n'était plus qu'une guerrière à la Conan dans un monde futuriste. Limitez-vous donc à la lecture de ces 4 numéros car ils sont particulièrement uniques.

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