vendredi 25 septembre 2009

Poison Elves

Par Bruno Aublet, juillet 2009.

Ecrire un article, même sur un thème qu'on aime beaucoup, n'est pas chose aisée lorsque l'on n'est pas un professionnel de la profession. Il faut bien sûr trouver le temps de rédiger l'article, mais il faut aussi réussir à trouver un sujet qui va intéresser le rédacteur et surtout les lecteurs. Après de longues et tortueuses réflexions, j'ai eu envie de vous entretenir d'un tout nouveau comic-book, très peu connu dans nos contrées sauvages et culturellement attardées. Le titre, assez accrocheur vous en conviendrez, en est « The Amazing Spider-Man ». Il est réalisé par deux nouveaux venus sur la scène des comics : Stan Lee au scénario et Steve Ditko au dessin.

Naaaaaaaannnnnn, je ne vais pas vous faire ça ... A la place, je vais vous faire une courte (euh ... pas vraiment en fait ...) introduction à un comic-book vraiment peu connu que j'aime particulièrement. La série s'appelle « Poison Elves », et vous avez au moins dû en entendre parler. Si, allez quoi, admettez le, vous connaissez au moins le titre. Si. Mais si, vous avez bien dû voir une publicité dans un Previews quelconque ... Non ? Vraiment pas ? En fait, c'est normal, l'heure de gloire de cette série se situe dans les années 1990, et il n'y a eu aucun nouvel épisode publié depuis 2007 (certains diraient même depuis 2004 ...). Mais grâce à cet article, cette lacune dans votre culture comic-esque sera vite comblée et vous allez tout savoir sur cette série ! Enfin pas tout, je n'ai pas assez de temps, mais en tout cas l'essentiel ...

Bon, commençons par le commencement. Par l'auteur donc. Il était américain et s'appelait Drew Hayes. A l'imparfait car il est décédé en 2007. Ce qui explique qu'il n'y ait pas eu de nouvel épisode depuis un certain temps ... Mais je voulais commencer par le commencement et me voilà déjà à la fin ... Reprenons donc et plantons le décor. Il s'agit de ce qu'il convient d'appeler une série indépendante, c'est-à-dire une série qui n'est pas publiée par une des 2 majors, Marvel Comics ou DC Comics, ni même par une des moyennes, Dark Horse, Image Comics et consorts. La série a connue une publication un peu compliquée. Il y a en fait 2 séries différentes (appelons-les vol. 1 et vol. 2, pour être original). Le premier volume a connu un changement de titre et un changement de format avant de s'arrêter à son 20ème numéro. Le second volume a connu 80 numéros (quand même ...) ainsi que des déclinaisons dans différentes limited séries et séries spin-offs.

A mon sens, toute série capable de tenir plus de 100 épisodes mérite le respect, non ? (Et ne vous inquiétez pas trop, je vous ai placé une checklist des comics composant la série en fin d'article. Nan, n'allez pas y jeter un coup d'oeil maintenant, restez avec moi.).

Poison Elves vol. 1

Drew HayesQuelques données techniques tout d'abord. Comme il me semble l'avoir mentionné plus haut, ce volume a connu 20 numéros. Le premier numéro sort en 1991. Il est en noir et blanc (comme le reste de la série évidemment). Il est bimensuel. Il traite des mésaventures d'un elfe nommé Lusiphur dans un monde médiéval fantastique façon Donjons & Dragons, monde nommé Amrahly'nn. Je vous ai dit qu'il s'agissait d'un comics indépendant : il a été auto-publié par un total inconnu à l'époque, Drew Hayes (de son nom complet Lawrence Andrew Hayes), à travers une maison d'édition fondée par lui, rien que pour ça, Mulehide Graphics. Et à tout hasard, je rajoute qu'à ma connaissance, la série n'a jamais été traduite en français (ni dans aucune autre langue d'ailleurs), et qu'il va donc falloir la lire dans la langue de Shakespeare. Une série auto-publiée façon Dave Sim ... Si je devais en faire autant, je ne saurais même pas par où commencer ... Et vous savez quoi ? Ben, en fait, Drew Hayes non plus.

Première mauvaise décision, le titre que Drew Hayes donne à son bébé est « I, Lusiphur ». Bon, certes, ça n'a l'air de rien comme ça, mais essayez de prononcer ce titre avec un accent américain et vous obtenez quelque chose qui ressemble fortement à « Moi, Lucifer » ... Et ça, ça va vraiment faire du mal à la série ... Comment, quoi, un titre satanique ! Et paf, plein de ventes perdues, et ce malgré un bouche à oreille plus que positif ... Petite anecdote, Drew Hayes a déclaré avoir pris la décision de changer le titre après avoir reçu le courrier d'un fan lui annonçant que sa mère avait jeté sa collection de comics après avoir trouvé des numéros de « I, Lusiphur » dans sa chambre ...

Seconde mauvaise décision, il publie sa série au format magazine, et ce n'est même pas histoire de ne pas faire comme tout le monde. En fait, il a suivi un conseil idiot : utiliser des planches au format 9x12", parce que comme elles sont plus grandes que le format standard, forcément c'est mieux pour le dessin. Oui, mais au moment de l'impression, il s'aperçoit que ces planches ne peuvent pas être réduites au format standard d'un comic-book (à savoir 6x10"). Il doit donc faire face à un choix : soit imprimer ses planches à un format magazine après une légère réduction, soit recommencer ses dessins à zéro sur des planches plus petites. Il choisi d'imprimer le tout au format magazine ... Là aussi, cela lui coûtera des ventes, pas mal de retailers ne prenant même pas la peine de commander un magazine. Et si en plus vous rajoutez une erreur de Diamond Comic Distributors, Inc. qui a oublié d'imprimer la sollicitation du #5, amenant des lecteurs à penser que Mulehide Graphics avait disparu et le magazine aussi ... C'est un miracle que la série ait survécu ...

Finalement, la série aura eu le titre « I, Lusiphur » du #1 au #7 et « Poison Elves » à partir du #8. Il aura eu un format magazine du #1 au #10, puis un format comics normal à partir du #11. Un poil compliqué et déroutant tout ça, non ?

Soyons honnêtes, Drew Hayes ne connaissait rien de rien à son métier d'auteur / éditeur de comics ... Et en plus, ça se voit ... Il avouait lui même avoir encré les deux premiers épisodes ... au stylo à bille ! Ces deux premiers épisodes sont sans doute les plus laids de toute la série, et pourtant ... et pourtant ... qu'est-ce que je les aime (mais soyons francs : ce sont les 10 premiers épisodes qui seront encrés ainsi) ! Avec tous leurs défauts, ces 2 comics promettent quand même pas mal de choses ... Et franchement, ils m'impressionnent ! A la force de sa volonté, sans rien savoir de ce qui l'attend, l'auteur se lance dans l'écriture, le dessin, la production, la distribution d'un comic-book ! Tout seul, comme un grand !

Bon, Drew Hayes va quand même renier ces 2 épisodes ... Il va même refuser de les ré-imprimer pendant un temps : ils ne seront pas au menu du 1er TPB, où ils seront remplacés par une nouvelle illustrée reprenant leur scénario (mais ils seront tout de même ré-imprimés plus tard, jetez un coup d'oeil à la checklist. Non, pas maintenant, plus tard, après avoir fini l'article).

Quel scénario justement ? Brièvement, le voici : Lusiphur va malencontreusement croiser le chemin d'un nécromancien, qui va le capturer et lui arracher un oeil afin de s'en servi pour conjurer le seigneur-démon « Six-Tell Amlah ». Et bien sûr Lusiphur ne va pas beaucoup aimer ça ... Rien de bien original, je vous l'accorde, mais beaucoup de passion de la part de l'auteur, et beaucoup d'humour.

Le 3ème numéro va donner le coup d'envoi d'une série de one-shots, qui vont avoir comme principal avantage de permettre à n'importe quel lecteur de prendre la série en cours de route. Pas d'histoire à suivre, rien qu'une suite de mésaventures parfois horribles, parfois tragiques, parfois comiques. Oui, comiques, car Drew Hayes n'avait pas son pareil pour faire rire ses lecteurs. Et je peux même le prouver : au 4ème épisode, arrive Le Purple Marauder, sans le moindre doute le personnage le plus loufoque qu'il m'ait été donné de voir ... Vengeur masqué en string avec poils apparents, détraqué misogyne haïssant les femmes sans que l'on sache vraiment pourquoi, grand maladroit maladif qui rendrait fier une armée de clones de Pierre Richard ... Il fallait oser... Drew Hayes n'aurait-il pas injecté une parodie de super-héros dans le monde d'Amrahly'nn, par hasard ? Venant de la part d'un auteur qui hait les comics mainstream, ça me semble quand même plus que probable ... Le Purple Marauder reviendra hanter Lusiphur assez régulièrement au long de la série, au désespoir de ce dernier.

Des personnages farfelus, il y en aura d'autres, notamment Parintachin, farfadet échappé des enfers qui va élire domicile dans le crâne et l'esprit de Lusiphur. Après des débuts difficiles, ils finiront même par devenir amis ces deux-là ... Il faut dire que Parintachin va surtout vouloir protéger son chez lui, pas question qu'on lui zigouille son hôte ...

Je pourrais encore vous parler des heures de ce 1er volume, vous présenter Hyena, l'ex-femme de Lusiphur, sorcière de son état, ou bien Jace San Lanargaith, ancien officier de l'armée elfe, compagnon de beuverie et meilleur copain de Lusiphur malgré son arrivée tardive dans la série, mais je vais quand même pas vous faire un résumé détaillé de chaque épisode ... Pour vous mettre l'eau à la bouche, je pourrais vous parler du fabuleux, fabuleux, fabuleux run « Desert of the Third Sin » (épisodes #13-17) ... Je pourrais même mentionner le tueur à gages inter-dimensionnel qui va être envoyé aux trousses de Lusiphur ... Je pourrais aussi mentionner le pistolet automatique que va trouver Lusiphur (oui, l'auteur n'était pas contre un anachronisme ou deux), pistolet sur lequel figure la rune de l'infini et qui ne peut donc jamais être à court de munitions ... Je pourrais vous ennuyer en vous décrivant l'incroyable duel entre Lusiphur et Tenth, deuxième plus grand sorcier du monde. Mais non, je ne dirais rien. Hein ? Comment ça, c'est trop tard ? Non, je n'ai rien dit, je n'ai même pas parlé des gros progrès graphiques réalisés par l'auteur, ni du découpage parfois vraiment étonnant, et je n'ai même pas dit que parfois un épisode ne contenait qu'une illustration par page, avec le texte à côté façon graphic novel, ce qui permettait de faire beaucoup avancer l'histoire tout en ayant des dessins souvent fabuleux sous les yeux. Non, je ne dirais rien de plus sur le premier volume, n'insistez pas.

Bon, finalement si, je vais quand même me permettre de diriger votre regard sur certains points de détails. Quand vous lirez cette série (oui, vous la lirez !), prenez le temps de regarder les indicias de chaque épisode, ils sont hilarants. Oui, les indicias, ces quelques lignes de petits caractères en bas de chaque première page de chaque comic-book que vous achetez, et qui comprennent entre autres choses le copyright ... Je vous en livre un : « violation » (du copyright bien sûr) « is subject to prosecution and / or dismembrement ». Il sera utilisé pour les 13 premiers épisodes, puis il y en aura un nouveau à partir du #14, et d'autres encore par la suite ... Je vous laisse les découvrir, ce sera sans doute la première fois que vous porterez autant d'attention à l'indicia d'un comic-book.

Prenez également le temps de lire les starting notes. Il s'agit d'un texte que l'auteur mettait en début de chaque épisode, sorte d'introduction ou de préface (comme on veut), dans lequel il nous parlait de tout et de rien, de sa vie, de ses inspirations, de sa fille, de ses ivrogneries, de ses opinions ... De tout plein de choses. En fait, il nous ouvrait une fenêtre sur sa vie comme j'ai rarement vu d'autres artistes le faire.

Et surtout prenez le temps de lire les pages courriers, les « Deathreats », qui furent en leur temps connues pour être parmi les pages courriers ayant le plus de ... hmmh ... disons le plus de couilles ... A titre d'exemple, ces pages courriers ont servies à insulter Brian Michael Bendis (qui n'était pas encore la star qu'il est aujourd'hui). Ce dernier à répondu sur le même ton dans ses propres pages courriers ... Les fans des 2 bords s'y sont mis aussi, tout ça faisant bien rigoler les deux protagonistes qui, après s'être rencontrés à l'occasion d'une convention, se sont rendus compte qu'ils s'entendaient bien ...

Au passage, je me permets de vous signaler la sortie imminente d'un TPB reprenant les meilleurs morceaux de ces pages courriers et toutes les starting notes. Le volume s'intitulera « Deathreats : Life & Times of a Comic-Book Rock Star » et devrait sortir en juillet 2009 si tout va bien (enfin j'espère, mais je reviendrai à ce sujet plus tard).

Les meilleures choses ont une fin ... Et le premier volume s'achève en 1995 avec son 20ème numéro. Il prend fin à mon sens en apothéose graphique, les 2 derniers épisodes étant absolument magnifiques.

Poison Elves vol. 2

Un peu plus tard de cette même année 1995, commencera le second volume de la série. Il ne sera plus auto-publié, l'auteur ayant signé avec Sirius, petite compagnie qui publiait à l'époque quelques titres plutôt intéressants. Cette « trahison » vaudra d'ailleurs à Drew Hayes les foudres de Dave Sim ... Il n'est plus indépendant, il ne s'auto-publie plus, quelle horreur ! Mais le comics va devenir mensuel, au moins pour un temps, grâce à la charge de travail en moins. Drew Hayes n'a plus à gérer la publication, cela lui laisse plus de temps pour écrire et dessiner.

Et puis soyons clair : le passage chez Sirius lui a ouvert les portes d'une distribution bien meilleure que celle qu'il pouvait espérer auparavant avec Mulehide Graphics. Et j'illustre mon propos par mon expérience personnelle : au début des années 1990, j'avais entendu parler de la série, j'avais envie de la lire, mais à ma grande honte, je n'avais jamais réussi à me procurer le moindre épisode. Bon, précisons à l'intention des plus jeunes qui nous lisent que le début des années 1990, c'est quand même bien avant l'arrivée massive d'Internet, et qu'à l'époque se procurer un petit et obscur comic-book indépendant auto-publié n'était pas la tâche la plus simple pour un fan de comics comme moi. Bref, l'arrivée en scène de Sirius a changé la donne, et j'ai pu me procurer assez facilement le vol. 2, ainsi que les TPBs reprenant le vol. 1. Je n'étais pas le seul à me trouver dans ce cas de figure, et il est clair que beaucoup plus de lecteurs allaient être en mesure de découvrir la série.

Le style graphique de l'auteur va s'affirmer, bien qu'en se simplifiant. Le trait va devenir moins chargé, ce qui n'empêchera toutefois pas Drew Hayes d'aller par moment chercher ouvertement l'inspiration chez Berni Wrightson. Le scénario va, quant à lui, délaisser les one-shots, pour s'intéresser à des histoires longues, à suivre sur la durée.

Lusiphur va commencer par se faire recruter par une guilde d'assassins. Guilde à l'intérieur de laquelle il va trouver l'amour. Parallèlement, les forces de l'ordre vont se mettre à rechercher très activement cette guilde d'assassins, en se faisant aider par Jace San Lanargaith, qui a perdu la trace de son ami et ignore ce qu'il va déclencher en recherchant une guilde d'assassins dont Lusiphur fait partie. Ah oui, le flic qui dirige la brigade de recherche est un peu toxicomane. Et bien sûr, tout va déraper ... Voilà pour le premier arc, très rapidement abordé afin de ne pas trop le spoiler. Cet arc et ses conséquences terminés au #39, viendront ensuite quelques one-shots ou histoires ne courant que sur quelques numéros. Cela permettra à Drew Hayes de souffler un peu, ainsi qu'à ses lecteurs, tout en retrouvant un des charmes du premier volume : les histoires courtes justement.Poison Elves #042 Mais un nouvel arc majeur commence au #48, arc pour lequel Drew Hayes avouait que tout ce qui l'avait précédé n'avait servi qu'à le préparer ...

Je ne dirais pas grand chose de plus du vol. 2. Si je ne vous ai pas déjà donné envie de lire la série dans son intégralité, c'est que j'ai raté mon objectif, et que ce n'est pas la peine d'en rajouter. D'un autre côté, si vous avez envie de la lire, alors j'ai atteint mon objectif, et ce n'est pas la peine d'en rajouter non plus.

La série s'arrêtera en 2004 au #79. Sa publication était depuis quelques temps pour le moins irrégulière en raison de gros problèmes cardiaques de l'auteur. On nous disait que la pause ne devait être que temporaire, les nouvelles qui filtraient par l'éditeur (via Robb Horan ou Keith Davidsen) étaient presque rassurantes, Drew Hayes allait mieux, il avait commencé à travaillé sur le prochain épisode, il y avait des rumeurs de reprise de la série sur un rythme trimestriel ...

Le 21 mars 2007, Drew Hayes est mort d'un crise cardiaque causée par les complications d'une pneumonie. Il avait 37 ans.

Le Poison Elves #80 fut finalement publié un peu plus tard en 2007. Il contenait des croquis et esquisses de l'auteur, certaines planches dessinées mais pas encore encrées, quelques notes de Drew Hayes sur les développements futurs du scénario, plein de choses pour les fans quoi ... Si on cumule les deux volumes, le #80 est en fait le 100ème épisode, un numéro important que l'on aurait aimé célébrer avec joie plutôt qu'avec tristesse. L'impression qui en ressortait, tout au moins pour moi, était celle d'un épouvantable gâchis ... Comparez les dessins du tout 1er épisode du premier volume à ceux parus dans le #80 ... Que de progrès en une décennie ! Et si vraiment vous voulez vous faire du mal, essayez d'obtenir le « Pencil Sketch Portfolio », publié après la mort de Drew Hayes, là aussi vous allez découvrir un artiste accompli, tellement loin du débutant qui encrait ses comics au stylo à bille ...

Poison Elves, la série, ne sera jamais terminée, elle restera éternellement en suspens, « à suivre » pour toujours. Nous n'assisterons jamais à la guerre contre les forces du mal qui était sur le point de se déclencher. Nous ne verrons jamais le retour de Six-Tell Amlah (qu'est-ce-que j'aurais aimé voir l'interprétation que Drew Hayes en aurait donné 15 ans après). Nous ne saurons jamais pourquoi dans un court flash-forward au début du 2nd volume, Jace écrivait dans ses mémoires que le statut de Lusiphur était mort, mais toujours recherché par les autorités (Poison Elves vol. 2 #1, page 1, case 1, ligne 1 : « December 28th, 1526. Lusiphur has been dead roughly a year now, but he's still actively wanted by the authorities. ». Si ça, ce n'est pas de l'entrée en matière ...).

Bref, on ne saura pas. Ah putain le con, mais qu'est-ce qui lui a pris de mourir comme ça ...

Il faut tout de même que je vous précise que Sirius a annoncé qu'il était prêt à reprendre la série. Drew Hayes a laissé des notes apparemment assez complètes sur les futurs développements de l'histoire. Dans le #80, Robb Horan (publisher chez Sirius) a déclaré que ces notes ne seraient pas exploitées tant que lui et la famille de Drew Hayes (en fait, sa mère et sa fille) ne seraient pas pleinement certains que l'équipe créative qui reprendrait la série serait à la hauteur. Propos que l'on peut bien sûr analyser de manière optimiste : il n'y a « qu'à » trouver des auteurs de talent et la série repart sur les bases laissées par Drew Hayes ! Mais on peut aussi avoir l'analyse inverse : ils ne trouveront jamais qui que soit qui ait la gouaille et le talent graphique nécessaires, quelqu'un qui soit en mesure de satisfaire Robb Horan, la famille de Drew Hayes, et surtout ses fans !

En outre, il semblerait que Sirius ait des difficultés d'un autre ordre ... Leurs auteurs principaux sont partis : Mark Crilley a arrêté sa série Akiko pour publier des romans tirés de cette série, mais pas chez Sirius ; Daniel Schaffer fait publier ses nouveaux projets par Image Comics, à qui il a confié la publication du 3ème TPB de la série Dogwitch, bien que la série et les 2 TPBs précédents aient été publiés par Sirius ; Jill Thompson et sa Scary Godmother ont disparues de la circulation. Drew Hayes est mort, et il avait signé dans les années 2000 un contrat à vie avec Sirius (le premier du genre dans le domaine des comics). Ni lui, ni Sirius n'imaginaient qu'il se clôturerait aussi vite ... Bref, tout ça laisse la compagnie d'édition sans rien à éditer. Sirius a, par ailleurs, vendu ces derniers mois pas mal d'originaux sur eBay, et ils y ont bradé pas mal de leur stock, me donnant l'impression d'être à la recherche de liquidités ... Leur site Web n'a pas été mis à jour depuis la sortie du Poison Elves #80 ... Signe inquiétant, ils ne répondent plus aux mails ... Je voulais commander le nouveau TPB (Deathreats, qui reprend les pages courriers et les starting notes) directement à l'éditeur comme j'en ai l'habitude. Mais pas de réponse à mes mails, d'où une commande ailleurs évidemment. Maintenant, Amazon m'informe que la publication du TPB est retardée ... Bref, le futur me semble loin d'être rose pour Sirius, et j'ai un peu peur que nous n'entendions plus jamais parler de ma série favorite ...

Au passage, vous remarquerez que c'est bien dommage que cet éditeur soit en train de disparaître, parce qu'il publiait des comics originaux et de qualité.

Poison Elves mini-séries, spin-offs et autres auteurs

Je ne saurais conclure cet article sans vous présenter succinctement les autres séries Poison Elves. Elles font intervenir un, voire deux autres auteurs, dans la chasse gardée de Drew Hayes, ce qui était loin d'être évident au début. Il fut en effet un temps où Drew Hayes refusait catégoriquement que quelqu'un d'autre touche à sa création. Lui seul avait le droit de l'écrire, lui seul avait le droit de la dessiner. Normal, c'était son bébé après tout. Bon, certes, Janine Johnston a dessiné quelques couvertures, et il était arrivé que d'illustres inconnus dessinent quelques pages en back-up du comics, mais vous voyez ce que je veux dire : rien n'est permis sur la série régulière. Cela change en 2000 avec le #61, où Drew Hayes prête sa création aux Fillbäch Brothers, qui vont avoir la joie d'écrire et de dessiner un épisode que je qualifierais de « rigolo comme tout ». Mais surtout, cela va permettre de briser le tabou, et Drew Hayes va accepter de prêter ses jouets à d'autres que lui (en fait, à d'autres auteurs de l'écurie Sirius).

En 2001, Drew Hayes écrit une mini-série de 4 épisodes appelée « Lusiphur and Lirilith » et en confie le dessin à Jason Alexander. A la très grande surprise de tout le monde, le résultat est sublime ! Cette mini-série va traiter de la jeunesse de Lusiphur et de son premier amour, la belle Lirilith, pour qui il ne va pas réussir à quitter son gang ... Si les dessins ont un côté « sale », façon Bill Sienkiewicz (ce qui est loin de me déplaire), ils sont d'une grande finesse. Bien que clairement placés dans le monde d'Amrahly'nn, ils semblent presque se dérouler de nos jours. En outre, les cadrages sont toujours impeccables et le ton de la série est juste, jeune mais sans jeunisme, tragique mais sans pathos. Bref, tout est remarquable dans cette mini-série.

Toujours en 2001, Drew Hayes permet aux Fillbäch Brothers de faire à nouveau joujou avec sa création, mais cette fois, c'est lui qui écrit et eux ne feront que dessiner. La mini-série de 3 épisodes s'intitule « Parintachin ». Elle est drôle, mais pas vraiment indispensable.

A partir de 2004, Drew Hayes étant malade, commencent à être publiées des séries sur lesquelles il n'a pas travaillé du tout. Je me demande encore aujourd'hui quel était le but de ces publications diverses et variées ... Assurer un revenu facile à Sirius en exploitant la licence Poison Elves ? Ou bien assurer un revenu à un ami malade et dans le besoin, en exploitant sa création pour lui ? Je suppose ne pas me tromper beaucoup en disant que la vérité est sûrement un mélange des deux possibilités ...

Poison Elves - Hyena #001Bref, la première série à être ainsi publiée est « Poison Elves - Hyena », mini-série de 4 épisodes consacrée comme son nom l'indique à l'ex-femme de Lusiphur. Elle est écrite par Keith Davidsen (éditeur chez Sirius) et dessinée par Scott Lewis. Là encore, une mini-série rigolote mais pas vraiment indispensable. L'histoire ne fait pas avancer le schmilblick. Les dessins quant à eux sont agréables, mais on pourrait toutefois presque qualifier Scott Lewis d'amateur (plus au bon sens du terme qu'au mauvais, mais un peu quand même ...).

En 2005, commence « Poison Elves - Dominion », racontant les aventures de Jace pendant sa jeunesse dans l'armée elfe. La série, prévue pour être ongoing, est écrite par Keith Davidsen et dessinée par Scott Lewis, même équipe que pour « Hyena ». La série n'aura que 6 épisodes. A nouveau, il s'agit d'une série juste sympathique, pas indispensable.

En 2005 toujours, commence « Poison Elves - Ventures » puis en 2006 « Poison Elves - Lost Tales », deux séries écrites par Keith Davidsen et dessinées par Aaron Bordner. Ventures est une série de 4 épisodes, tous centrés sur un personnage secondaire de la série. Lost Tales est elle une série de 11 épisodes se situant (volontairement) dans un « trou » de la continuité de la série principale, pendant l'intervalle d'histoires courtes entre les 2 arcs principaux du 2nd volume. Bon, que dire de ces deux titres ? Graphiquement ils sont ... rugueux ... Euh non, en fait, ils sont pires que ça, ils sont laids ! On peut toutefois noter une très légère amélioration graphique sur les derniers numéros, mais il faut quand même un oeil exercé pour la remarquer. Et les scénarios ne vont pas bien loin non plus ... Bref, deux séries à réserver aux plus acharnés des fans uniquement !

Il faut également prendre en compte quelques numéros isolés de toute série, mais vous pouvez vous reporter à la checklist pour plus de détails (non, toujours pas maintenant, on n'est pas encore à la fin de l'article ... Allez, tenez bon, plus que deux paragraphes ...

Voilà, ça y est, vous êtes arrivés à la fin de ce que j'ai eu la prétention d'appeler « un article ». Un article... pfff... c'est prétentieux, non ? Si je savais écrire, ça se saurait ... J'espère tout de même m'améliorer dans le futur, parce que maintenant, il se peut que je prenne goût à l'écriture et que je vous inflige encore quelques « articles » traitant d'autres séries injustement méconnues. En tout cas, n'hésitez pas à m'envoyer vos remarques / questions / suggestions à l'adresse suivante : bruno196994@gmail.com.

J'espère aussi avoir réussi à vous donner envie de lire une série qui mérite qu'on la découvre. Si c'est le cas, vous pourrez trouver les comic-books assez facilement sur eBay (même le premier volume). Les TPBs sont disponibles eux aussi assez facilement dans toutes les bonnes crémeries. En guise de conclusion, vous trouverez plus bas la petite checklist dont je vous parle depuis quelques pages maintenant, elle devrait vous aider dans vos recherches ... Oui oui, c'est bon, vous pouvez la regarder maintenant ...

Checklist Poison Elves


  • Poison Elves vol. 1 (1991-1995) : 20 épisodes, « I, Lusiphur » #1-7 et Poison Elves #8-20

    Il existe deux éditions différentes du #15 facilement identifiables : la première utilise l'ancien logo de la série et la seconde utilise le nouveau logo.

    Par ailleurs, il existe 2 éditions pour au moins un autre épisode, et je ne m'en suis rendu compte que par hasard : en achetant un lot de comics sur eBay, j'ai récupéré un exemplaire du numéro ** différent de celui que j'avais déjà, avec une histoire courte supplémentaire ... Aucune manière de les différencier à la couverture. Y a-t'il d'autres numéros comme celui-ci ? Allez savoir ...

  • Poison Elves vol. 2 (1995-2007) : 80 épisodes

    Il existe 3 éditions du #1 : l'édition normale, l'édition « red foil » et une réédition avec une couverture différente.

    Il existe 2 éditions différentes du #80 : l'édition normale et l'édition limitée, qui comprend en plus un mini-comic avec des recherches de Drew Hayes sur un nouveau projet.

  • Mythography

    One-shot comprenant plusieurs histoires courtes de différents auteurs. L'histoire de Drew Hayes s'appelle « The Crow », et se déroule dans l'univers Poison Elves bien sûr, bien qu'elle soit une adaptation d'une nouvelle d'Edgar Allan Poe.

  • Poison Elves Fan Edition (1996) One-Shot

    Contient la 1ère histoire de Poison Elves en couleurs, « Riders ». Il s'agit d'un supplément au magazine Fan #10, que l'on pouvait commander grâce à un coupon à détacher à l'intérieur du magazine.

  • Poison Elves Color Special (1998) One-Shot

    Contient 3 histoires courtes en couleurs, dont « Riders », déjà publiée dans le Fan Edition, et « The Crow » publiée mais en noir et blanc dans Mythography. Une 3ème histoire, « Hell hath no Fury ... » est inédite.

    Il existe 2 éditions de ce numéro : une normale et une signée avec certificat numéroté.

  • Poison Elves - Lusiphur & Lirilith #1-4 (2001)

    Chaque épisode existe en deux éditions différentes : l'édition normale (couverture de Jason Alexander) et l'édition limitée (couverture de Drew Hayes édition numérotée avec certificat).

  • Poison Elves - Parintachin #1-3 (2001-2002)

  • Poison Elves Companion (2002) One-Shot

    Ecrit par Keith Davidsen. Il s'agit d'une version papier et raccourcie du CD-Rom de l'encyclopédie Poison Elves (eh oui, il existe une encyclopédie sur CD-Rom ...).

  • Poison Elves Sketchbook (2003) One-Shot

    Il existe deux éditions de ce one-shot : l'édition normale et l'édition limitée (chacune ayant une couverture différente).

  • Poison Elves - Hyena #1-4 (2004-2005)

  • Poison Elves - Portraits (2005) One-Shot

    Recueil d'illustrations de Scott Lewis, certaines assez cool. Par contre, je ne sais pas comment l'impression a été réalisée mais elle est calamiteuse ...

  • Poison Elves - Dominion #1-6 (2005-2006)

  • Poison Elves - Lost Tales #1-11 (2006-2007)

  • Poison Elves - Ventures #1-4 (2005-2006)


TPBs et ré-impressions

  • TPB 1: Requiem for an Elf (reprend Poison Elves vol. 1 #1-6, mais les 2 premiers ré-écrits sous forme de nouvelle illustrée)

  • TPB 2: Traumatic Dogs (reprend Poison Elves vol. 1 #7-12)

  • TPB 3: Desert of the Third Sin (reprend Poison Elves vol. 1 #13-18)

  • TPB 4: Patrons (reprend Poison Elves vol. 1 #19-20, avec en bonus pour la première fois la carte du monde d'Amrahly'nn)

  • TPB 1-4: The Mulehide Years (TPB ré-imprimant en 1 seul volume massif les 4 premiers TPBs qui sont épuisés depuis longtemps ; mais les 2 premiers épisodes apparaissent comme à l'origine et non pas sous leur forme re-travaillée ; il comprend en bonus une histoire courte faisant le lien entre le vol. 1 et le vol. 2)

  • Poison Elves Archive Edition (2 numéros à tirage limité, reprenant les 2 premiers épisodes du vol. 1 sous leur forme d'origine, avec quelques illustrations bonus et une nouvelle couverture)

  • TPB 5: Sanctuary (reprend Poison Elves vol. 2 #1-12)

  • TPB 6: Guild War (reprend Poison Elves vol. 2 #13-25)

  • TPB 7: Salvation (reprend Poison Elves vol. 2 #26-39)

  • TPB 8: Rogues (reprend Poison Elves vol. 2 #40-47 ; le #46 n'est ré-imprimé que partiellement ; il manque 2 histoires courtes qui sont ré-imprimées dans le TPB Poison Elves - Ventures 2)

  • TPB 9: Baptism by Fire (reprend Poison Elves vol. 2 #48-59)

  • TPB 10: Dark Wars - Heaven's Devil (reprend Poison Elves vol. 2 #60, 62-68)

  • TPB 11: Dark Wars - Alliance (reprend Poison Elves vol. 2 #69-75)

  • TPB Lusiphur & Lirilith (contient bien sûr la mini-série)

  • TPB Parintachin (contient bien sûr la mini-série)

  • TPB Poison Elves - Ventures 1: Hyena (contient bien sûr la mini-série Hyena, mais aussi deux histoires courtes : The Crow et Hell hath no Fury, deux histoires déjà connues mais jamais imprimées en TPB ; toutes deux sont imprimées en noir et blanc)

  • TPB Poison Elves - Ventures 2 : Amrahly'nn (contient la mini-série Ventures, ainsi que 3 histoires courtes : The Mime, Dah Chalengah et Riders ; les deux premières viennent de Poison Elves #46, la dernière de la Fan Edition)

  • Non réédités en TPB : Poison Elves vol. 2 #61, 76-80, Lost Tales #1-11, Dominion #1-6, Portraits, Sketchbook, Companion. Ceux-là, il faudra les trouver sous forme de comics ...

Divers

  • Il existe à ma connaissance 6 portfolios Poison Elves : tous ne sont pas réalisés par Drew Hayes, je vous conseille tout particulièrement le sublime « Pencil Sketch Portfolio », publié après la mort de Drew Hayes.

  • Il existe une série de trading cards Poison Elves, ainsi qu'une poignée de trading cards que Drew Hayes a réalisés pour d'autres séries.

  • Comme mentionné plus haut, il existe un CD-Rom intitulé « Poison Elves Encyclopedia » ; l'encyclopédie en question est rédigée par Keith Davidsen.

  • Il existe un CD Audio du groupe de Drew Hayes, The Misfortunes, intitulé « Psycho Go-Go » ; je le mentionne parce que son écoute va vous faire réaliser que l'auteur était quand même un peu barjo ... Rien que les titres des chansons me font marrer ... Pour info, musicalement ça ressemble un peu aux Cramps ... (le CD a longtemps été disponible uniquement sous forme de pirate que s'échangeaient les fans, mais Sirius l'a publié après la mort de Drew Hayes).

  • Il existe une statuette de Lusiphur ... Assez chère et pas forcément très réussie, à ne conseiller qu'aux plus fous des fans.

  • Et je ne vous parle même pas de la clé USB, du Zippo, des posters et autres prints, des 3 cartes postales, des vinyl stickers ...


Par contre, si quelqu'un lit cette liste jusqu'au bout : quiconque possède les verres à whisky Poison Elves et est disposé à me les vendre est prié de me faire une offre via mon e-mail bruno196994@gmail.com !

jeudi 20 août 2009

Martha Washington: Give me Liberty

Par Louis Deroys, août 2008.

Give me Liberty TPBAbsent pendant 4 ans du monde des comics, Frank Miller revient avec un opus engagé et ultraviolent chez Dark Horse Comics, Martha Washington: Give me Liberty. Pour propulser l'oeuvre, il s'entoure au dessin de Dave Gibbons encore tout auréolé de l'incroyable succès de Watchmen. Retenons que ce choix est historique puisqu'il permet à un petit éditeur de produire une oeuvre phare de deux stars du médium du moment. C'est aussi un choix politique de Miller qui veut casser le quasi monopole de Marvel Comics et DC Comics pour lesquels il travaillait au préalable. Give me Liberty est une vision vitriolée de l'Amérique républicaine, puissance mondiale omniprésente dont le seul contre-pouvoir à l'époque est l'empire communiste.

Give me Liberty #001Tout commence par un sinistre constat en 1995 : il ne fait plus bon vivre aux Etats-Unis d'Amérique. La faute en revient au président / dictateur Erwin Rexall. Elu en 1996, il a transformé ce pays en un état guerrier présent sur tous les fronts du monde via la police armée pacifique, la P.A.X. En 2008, les Etats-Unis sont en guerre avec 40 pays dans le monde entier et doivent faire face à une possible explosion indépendantiste de leurs états. Rien ne va plus et deux personnes au monde vont changer cela : Martha Washington et Howard Nissen. La première est une femme noire de Manhattan et le second est le ministre de l'agriculture de Rexall. Il n'y a aucun point en commun avec eux et tout les rend différents. Martha est née dans le Green, anciennement île de Manhattan que Rexall a transformé en un ghetto pour les pauvres, les exclus, les malades en tous genres. Dans ce monde en proie à la misère, Martha vit une existence chaotique entre l'école, sa vie avec sa mère, ses frères et son chat et puis la rue et ses dangers. C'est là où son père est mort quand elle avait 5 ans dans une manifestation contre la politique de Rexall. C'est là qu'elle doit s'habiller en garçon, qu'elle court pour sauver sa vie. C'est là où elle commet son premier meurtre dont elle ne se remettra pas et qui la conduira dans un minable hôpital psychiâtrique. Sa bonne bouille, ses nattes, son regard innocent disparaissent pour un regard vide et un habit vert qui l'entoure tandis que les cris des fous la poursuivent partout. C'est cette tunique qui l'accompagne dans son retour à la rue quand l'Etat, devenu trop déficitaire, ferme un par un les centres psychiâtriques. Puis elle s'engage dans les P.A.X. où, comme dans la Légion Etrangère, on ne demande rien mais où on exige beaucoup. Sa mère lui en voudra sûrement car elle a déjà perdu un fils dans ces forces de déploiement. Mais elle doit faire sa vie pour vivre.

Give me Liberty #004Et puis tout marche si bien, elle est même promue sergent en moins de 6 mois. Pas mal, non ? Howard Nissen est un ministre en désaccord avec Rexall. On murmure même qu'il ne va pas durer dans son gouvernement. Humain, rondouillard, la cinquantaine et père tranquille, il échappe aux bombardements de la Maison Blanche perpétrés par un groupe inconnu. Sous les flashs et les micros, il devient le nouveau président et programme des changements radicaux. Visionnaire, il simplifie tout et ne cède pas aux nombreux groupes de pression financiers. Il modifie les priorités des P.A.X. et arrête les conflits où son pays était engagé. Il redirige les actions des P.A.X. au Brésil pour aider à la reforestation de l'Amazonie au grand dam des trusts alimentaires. Il règle le problème des Indiens, les premiers natifs des Etats-Unis, en leur donnant une raffinerie de pétrole et la libre gestion de son exploitation. Enfin, il met fin au Green et entreprend la construction d'un programme de santé et d'aide sociale. Tout naturellement, en 2009, il est élu prix Nobel de la paix. Et puis, comme tout cycle naturel, le bon va être balancé par le mal. Le lieutenant de la P.A.X., Standford Moretti, est un ambitieux avec des réseaux énormes. Il est le supérieur de Martha. Froid, calculateur, il est à la botte des trusts alimentaires. Ses premiers plans dans la forêt brésilienne sont remis en cause par Martha, sa petite subordonnée. Il ne commettra plus la même erreur. Stratège exemplaire, il s'introduit malicieusement dans le cercle de Nissen et devient très rapidement un conseiller puissant et influent. Peu à peu, il déconstruit son président et détruit ses précieuses réformes. Il vise le pouvoir présidentiel et cumule les succès : l'atomisation de l'état apache, l'assassinat du vice-président, le meurtre de Nissen, l'accession au pouvoir des forces P.A.X. et le nouvel enfermement de Martha dans un hôpital psychiâtrique mais cette fois-çi pour un reconditionnement cérébral. Mais Martha lui donne du fil à retordre. La belle est un roseau : on la plie, on la triture mais elle revient toujours, droite comme un « i », droite comme la justice. Pour Moretti, accéder au pouvoir est une chose, le conserver en est une autre. Alors après l'ascension, la dégringolade : Moretti ne maîtrise plus le chaos qu'il a mis en place. N'est pas chef d'Etat qui veut. Le château de cartes s'écroule, les Etats-Unis sont au bord d'une guerre civile entre tous les états membres. Mais heureusement un homme resurgit pour reprendre les choses en main. Enfin plutôt un cerveau et plus précisément celui de ... Rexall revenu dans un revirement de situation plutôt cocasse. Moretti est arrêté, jugé et condamné à la peine capitale. Dans un final tragique, Martha lui rend visite dans sa cellule de prison. Elle lui prête sa ceinture après un monologue terrifiant et regarde Moretti s'étrangler et rendre l'âme.

Give me Liberty #003Voici le résumé de cet épique récit où nous laissons volontairement de côté quelques autres personnages. L'intrigue et les bouleversements se succèdent à un rythme effréné et les come-backs sont légion. On notera le retour de Rexall sous forme de cerveau ambulant, l'apparition du sergent-chef de la police de santé, un robot fou furieux et indestructible et le chef apache Redfeather qui jouera un rôle clef dans la libération de Martha. Grâce à ces alliés, Martha rend à l'Amérique son espoir de se reconstruire. Martha la femme noire partie de rien devient la sauveuse de l'Amérique. Frank Miller lâche ses humeurs et ses démons dans cette histoire. Il ne veut pas de complaisance vis-à-vis des puissantes multi-nationales comme Mc Donald's qui contribue à la déforestation de l'Amazonie ; il est contre le nucléaire à fin alimentaire (ou plus ?) ; il en a assez des héros blancs de peau. Il faut noter que la couverture du premier numéro où la statue de la Liberté a le visage de Martha avec une tiare couverte de seringues fit grand scandale à l'époque. Give me Liberty et la parution chez un petit éditeur vont lui permettre de porter loin ses revendications. Toujours engagé pour faire avancer les choses, il livre ici un récit à la hauteur de ses convictions. Frank Miller a utilisé une narration qui va crescendo : on commence par des origines troublantes, dérangeantes, qui prennent les tripes et le coeur puis on flingue, on tue, on atomise. On crie, on s'exalte pour chaque action héroïque de Martha et de ses complices. Il y a cet humour grinçant qui écorne ces belles images que nous promet le nucléaire : vous voulez de belles tomates de 50 centimètres de diamètre ? Non merci ! Dave Gibbons est l'écho de cet opus révolté. Chaque numéro est sublime. Il a une manière élégante d'alterner les scènes de combats avec un mélange d'immobilisme et d'action. Et puis il y a ce premier numéro qui dépasse les trois autres tant il est parfait : Martha est bouleversante en tant qu'écolière tricheuse et curieuse, puis tueuse par auto-défense et enfin guerrière fatiguée mais qui ne renonce jamais. Dans le premier numéro, il y a une page où Martha est assise et nous regarde avec détermination, les cheveux jaunis par des gaz chimiques. Des larmes coulent mais elles sont stoppées par sa main. Regardez-la car elle marque la série à elle seule. La puissance du dessin de Gibbons est vraiment à son apogée dans cette page extraordinaire. Les trois numéros suivants sont un ton en dessous car le dessin et la narration sont moins travaillés. Néanmoins, l'oeuvre est remarquable. Toutefois, nous vous invitons à ne pas acheter les autres numéros (en oneshot essentiellement) mettant en scène Martha Washington. Le duo s'est perdu dans des errances ridicules où la pauvre n'était plus qu'une guerrière à la Conan dans un monde futuriste. Limitez-vous donc à la lecture de ces 4 numéros car ils sont particulièrement uniques.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell

Par Louis Deroys, août 2008.

La boîte à trésors
. Ah nostalgie quand tu nous tiens ! Sans vouloir pleurnicher sur le bon vieux temps, nous souhaitons vous conseiller sur ces anciennes séries (limited series, run sur une série ongoing, classic story arc ou one-shot méconnu). Nous vous guiderons au travers de ces comics qui chacun dans leur genre nous ont marqués et que vous devez absolument lire. Leur point commun est d'appartenir aux années 1985-1995 où un grand nombre de petits chefs d'oeuvre apparaissaient ça et là. Nous allons entamer cette rubrique par deux titres de Dark Horse Comics : les mini-séries Grendel Tales: Four Devils, One Hell #1-6 et Martha Washington: Give me Liberty #1-4. Grendel Tales: Four Devils, One Hell.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell #006Dans les années 1980, Matt Wagner a créé un univers autour d'une force agressive qui possède les gens et les laisse se transformer en vecteurs du bien ou du mal : c'est Grendel. Ce concept va donner naissance à un univers gigantesque qui s'étale sur 600 ans. Le premier Grendel s'appelle Hunter Rose. Parmi les ennemis les plus dangereux, on trouve des vampires dont certains accèdent aux pouvoirs des Grendels. Le titre aura un peu plus de 54 numéros (dont 50 qui constitueront une série ongoing : 40 épisodes chez Comico et 10 chez Dark Horse Comics) puis la série se termine en 1993. Ensuite, Matt Wagner confie le thème à d'autres auteurs qui joueront avec cette idée dans des limited series intitulées Grendel Tales. Il y aura 8 mini-séries qui s'étaleront de 1993 à 1997. La première, et sans doute la meilleure, s'appelle Grendel Tales: Four Devils, One Hell et ses auteurs sont James Robinson et Teddy Kristiansen. James Robinson est un brillant scénariste qui vient du monde de la télévision et son point fort exprime toute sa plénitude dans la description et le développement de personnages. Il n'a pas de pareil pour développer des intrigues bien ficelées et il a collaboré au préalable avec Matt Wagner sur une historie de Grendel et sur un one-shot de Terminator en 1991 (chez Dark Horse Comics). Teddy Kristiansen est un illustrateur incroyable et peu connu à l'époque, fortement influencé par l'école des impressionnistes hollandais. Four Devils, One Hell est une saga où les personnages ont des facettes que l'on découvre au fur et à mesure de l'histoire. Il y a aussi une intrigue haletante avec son déroulé d'indices pour s'achever sur un final remarquable.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell TPBNous sommes dans le futur et les Grendels sont partout. Il y a Alfred Bixby, un Grendel de pacotille qui a perdu la raison à la suite d'une histoire d'amour devenue particulièrement sordide. Il a vécu une love story passionnée avec Simone Baltiaque, une belle métisse noire. Mais, dans le climat fou et macho de la Nouvelle-Orléans, il doit lui montrer de quoi il est capable car après tout, c'est l'homme qui doit ramener l'argent à la maison, non ? Aussi, convaincu par ses capacités, il défie le destin et le voilà joueur de cartes. Mais il se fait plumer comme un chef et il accepte l'inacceptable : il troque Simone (!) contre ses dettes à Calhoun, un Grendel joueur né, malin et prêt à tout pour le gain. Détruit, Alfred erre dans les pires recoins et voit sa belle au bras d'un autre. Sa personnalité est fragile, il tombe dans la folie et il plaque tout pour partir chasser les vampires en Amazonie. Régulièrement, il avale des cachetons et le voilà face à des visions incroyables qui lui dictent ses nouvelles missions. La dernière provient de Charlemagne, le roi français, qui lui ordonne d'aller chercher une précieuse relique à la Nouvelle-Orléans. Il s'exécute donc.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell #004De son côté, Calhoun pensait pouvoir faire face à cette belle escroquerie : gagner la femme de ces rêves à un guignol. C'est formidable, non ? Eh bien non car les remords le rongent. Etre un vrai escroc n'est pas si facile quand on a un peu de sens moral. Il prend conscience du mal qu'il a fait et va perdre sa femme qui tombe dans les bras d'abord de vampires puis dans celui de Renute, un chef de clan Grendel de la Nouvelle-Orléans. Il est lui aussi détruit et veut se racheter une conduite. Le voilà qui devient un samaritain et donne tous ses gains à un orphelinat. Mais ce nouveau héros reste fragile et son coté sombre et intéressé va vite reprendre le dessus quand il collabore avec Josef Mantovani pour récupérer l'enfant de Simone, le prétendant au titre de roi de France ! Josef est un détective privé. Un vieux, un ancien à la Humphrey Bogart. Il se voit comme un héros, un redresseur de tort au service de la justice. Il aurait eu les capacités pour devenir un Grendel mais il n'a jamais pu, jamais osé. Il aurait été un vrai serviteur du bien, c'est certain. Il est contacté par Guillaume Baltiaque pour enquêter sur la mort de son frère Emile Baltiaque, assassiné sans raison. Il va vite découvrir que l'assassin, un Grendel nommé Dulac travaille pour Renute. Dulac est la main tueuse qui doit abattre tous les Baltiaque encore existants. En effet, ceux-çi sont les héritiers des rois de France et une prophétie vaudou annonce que dans quelques jours, le dernier héritier vivant deviendra l'incarnation du premier Grendel ayant jamais existé : Hunter Rose. Il aura alors la main sur cet empire vieux de plusieurs siècles et aura des pouvoirs immenses. Tout porte à croire que Renute sera cet homme là.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell #002Alors le temps presse et pour Gloria, le temps court encore plus pour récupérer le trésor. Elle est une jeune Grendel anglaise qui vit recluse dans une maison isolée. Les Grendels anglais n'ont pas de points communs avec leurs cousins américains : ils ont le sens de l'honneur, respectent des vraies valeurs d'honnêteté et se sont battus pour le bien de l'empire Grendel. Gloria n'a jamais combattu le glaive à la main car sa tâche est tout autre : elle doit honorer son clan en amassant les plus belles oeuvres artistiques du monde. Mais sa quête semble terminée jusqu'au soir où Hubert la contacte car il a trouvé le lieu où se trouve le trésor.

Grendel Tales: Four Devils, One Hell #003Alors Gloria quitte tout et part à la recherche de ce trésor qui se trouve à la Nouvelle-Orléans. Mais elle va vite déchanter en voyant ces autres Grendels. Elle s'effraye en voyant ce qu'elle devient pour accomplir son destin : elle tue, frappe, regarde des Grendels se comporter comme des chiens. Elle séduit un homme minable mais qui seul peut l'amener au trésor. Son âme change et elle n'y peut rien : son honneur est d'abord de conquérir ce trésor. Au final, toutes les pièces de cet immense puzzle s'imbriquent les unes aux autres et seuls ceux qui ont gardé leur morale survivront. Four Devils, One Hell se conclut sur un final inattendu durant lequel Renute révèle sa véritable personnalité. Lui, le chef d'un clan, leader né renforcé par des prévisions vaudous est devenu une victime de l'amour. Mais sa perversion, son goût du pouvoir vont le transformer en destructeur d'humanité, rejetant toutes ses convictions initiales et notamment celles du mode de vie Grendel. Je vous laisse bien sûr le soin de regarder les détails de tous ces points mais la lecture de ces épisodes va vous fasciner. James Robinson livre un cycle merveilleux où les personnages sont de plus en plus attachants. Il nous livre tout et il y a dans chaque numéro 4 pages qui décrivent l'âme des protagonistes. Il utilisera le même système dans sa série phare Starman chez DC Comics à partir de 1994 que nous décrypterons dans un prochain numéro. Cet homme fut à cette époque où il s'investissait énormément dans le monde du comics un des scénaristes phare à lire absolument. Teddy Kristiansen développe un style innovant et accessible. Mélange étonnant de Kyle Baker et de Simon Bisley, il rend des planches où il exécute tout, du dessin à l'encrage, du lettrage à la couleur. Rien ne manque : des splashs uniques, une narration remarquable et des couleurs qui se marient parfaitement au script de Robinson. Il a continué d'exercer son talent sur des séries DC Comics comme House of Secrets, un one-shot crossover de Sandman et Sandman Mystery Theater, et plus récemment sur un opus de Superman « It's a Bird ! » récompensé par un award. Vous trouverez cette mini-série assez facilement. Jetez-vous dessus sans plus attendre et profitez-en pour découvrir les numéros de la série ongoing de Grendel. Vous y découvrirez un univers fascinant digne de Watchmen et de V for Vendetta. Alors enjoy et viva Grendel !

Interview Actualités, Books & Comics

Datant du mercredi 10 juin 2009, par Mathieu Doublet.
Publié initialement sur Onirique Comics 7.0 !

Mon fournisseur de comics mensuels rénove son échoppe. Quoi donc de mieux qu'une interview « copinage » pour signaler son existence ? Petit souci, il est bavard ... très bavard.

Actualités extérieur le 07 juillet 2007
La librairie Actualités au 38 rue Dauphine - 75006 Paris
Salut shell, on ne va pas pouvoir le cacher longtemps aux lecteurs de ce site : tu es mon fournisseur de comic-books mensuels donc cette interview ne sera bien entendu pas féroce. En même temps, tu n'as pas grand chose à cacher, si ?

Aargh, ton entrée en matière est tout à fait inhabituelle. Je vais essayer de ne pas être désarçonné par cette formulation inattendue et répondre au mieux.
Un peu de férocité, ma foi, pourquoi pas ? J'ai toujours aimé un bon challenge à relever, c'est assez dans mon tempérament. Quant à cacher ou non quelque chose, ça va devenir de plus en plus difficile dans la mesure où, à mon sens, l'arrivée de l'Internet (et auparavant des outils de communication nomades) induit nécessairement une rapidité du transport de l'information de par le monde. La transparence, la pédagogie et le dialogue ont toujours prévalu dans mes rapports à autrui (jusqu'à un certain point néanmoins : après moult efforts, quand ça ne rentre pas, je renonce).

Tu gères le site libractua (http://www.libractua.com) qui est un prolongement d'une ancienne librairie parisienne « Actualités » anciennement située 38 Rue Dauphine dans le 6ème arrondissement à Paris. Est-ce-que tu pourrais nous parler de cette échoppe et de son tenancier, Pierre Scias ?

Première précision, l'adresse Internet exacte n'est pas le .com mais http://www.libractua.fr. A l'heure actuelle, le .com n'est pas disponible et étant donné qu'il s'agit originellement d'une adresse parisienne, le .fr ne prête à aucune confusion quant à la localisation de la base d'opérations. Comme tout à chacun, il m'arrive de surfer sur la toile et j'apprécie toujours de savoir où se trouvent les personnes qui s'occupent de tel ou tel site. Les suffixes sont très souvent ambigus. Peut-être qu'à l'instar de nombreuses personnes, t'es-tu demandé : à qui ai-je affaire quand je tombe sur un .com, .net, .org et consorts ? Et je pense garder ce suffixe en .fr à l'avenir.
Actualités intérieur

Ma vision est qu'une librairie agit à l'échelle locale. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des clients à l'étranger. Par exemple, régulièrement, un graphic novel Owly s'envole pour l'Asie pour un de ces clients. Ceux-ci m'ont connu du temps où j'étais à la librairie rue Dauphine. En réalité, la gestion du site libractua.fr ne nécessite que très peu de temps.

Pour remettre les choses dans leur contexte, en avril 2007, j'étais fixé sur le destin de la librairie Actualités physique : la mort de Pierre Scias 8 mois auparavant et le changement de gérance de l'entreprise condamnaient Actualités / Dani France SARL à la liquidation. De plus, le ré-ajustement du montant du loyer du local par le propriétaire n'aurait jamais permis de préserver l'équilibre financier de l'activité. Il ne faut pas se leurrer : les librairies disparaissent petit à petit du centre historique de Paris. Maintenir une telle activité (c'est-à-dire, comme tu l'évoques toi-même, une petite échoppe de proximité) peu rémunératrice par rapport au commerce d'habillement, de chaussures, etc relevait du mystérieux. La disparition de ces pourvoyeurs de culture est devenue une préoccupation de la Mairie de Paris. Des gens qui habitaient le quartier de longue date m'ont à maintes reprises dit que, dans les années 1960-1970, la rue Dauphine regorgeait de librairies. Le temps passant, celles-ci ont été remplacées par des soldeurs de livres et des commerces d'habillement.

Pierre Scias
Pierre Scias 1939-2006
Dans le cas de Pierre, la persistance de la librairie dans la rue Dauphine pendant près de 40 ans était la conséquence d'un arrangement très particulier avec le propriétaire des lieux. Je reviendrai sur Pierre plus tard. Mais pour reprendre le fil par rapport au site, je quitte les lieux, non sans une profonde tristesse, un matin de septembre 2007 (faisant un dernier tour de ce lieu dont je connaissais tous les coins et recoins). Quelques mois avant, j'avais expliqué la situation à tous mes clients que le lieu allait disparaître et vu avec eux du projet de continuer « à acheter leurs comics chez Actualités ». Leur réaction pour la plupart fut encourageante.

Leur approbation m'a conduit à créer la présente structure, Actualités, Books & Comics SARL (A,B&C en raccourci) en juin 2007. J'ai aussi la chance de pouvoir reprendre la dénomination commerciale « Librairie Actualités » dans les statuts de la société. Après septembre 2007, la création de libractua.fr apporte une réponse aux questions de tous ceux qui seraient passés devant la librairie rue Dauphine et trouvant la porte fermée (et que je n'aurais pas vus ou avertis, tant les évènements se sont enchaînés à la vitesse grand V). Les 2 pages présentes sur libractua.fr fournissent une explication succincte des raisons de la disparition de la librairie, mais aussi la volonté de Laurent Bruschi (un des associés d'A,B&C) et de moi-même de faire perdurer le lien créé autour de Pierre.

Que reste-t-il de la librairie dans le site Web ?

L'esprit. Toujours et encore. En fait, le véritable site d'Actualités est situé à l'adresse http://www.actuastore.com ! Je pense que tu me poses la question car, de ton oeil averti, tu as pu discerner quelques éléments de design et de structures propres à Actualités. Quiconque s'étant rendu chez Pierre a été forcément confronté à la dichotomie entre les livres et la bande dessinée. Ceci est resté, même si la rubrique « Books » est nettement plus réduite que la rubrique « Comics ». Ensuite en un peu plus subtil, le logo réalisé par tibo Soulcié (qui collabore, entre autres, à la revue généraliste bimestrielle Zoo) reprend la police de caractères des lettres du magasin et le bleu des cartes de fidélité. Le background « Bamboo » n'y est pas étranger non plus.

Quelque chose que le site Internet ne pourra pas accumuler au cours des semaines, c'est la poussière ! Heureusement. Sur le Web, les étagères et les rayonnages ont cédé la place aux bases de données.

Perdre le magasin n'est pas chose facile pour tenir un commerce. Comment s'est passée la période entre le magasin et la vitrine Web ? As-tu perdu beaucoup de clients ?

Il est certain qu'avoir une vitrine sur la rue est un avantage. D'un autre côté, je savais dès le début de l'aventure qu'il faudrait initialement faire sans. Par ailleurs, dit comme cela, s'occuper d'une librairie physique, c'est être un commerçant ou dans ce cas, être un libraire. Je n'en ai pas l'âme. Je m'explique. Rapidement, c'est un questionnement qui s'est présenté à ma réflexion. J'ai vécu l'expérience de « libraire » quand j'ai remplacé Pierre durant ses congés d'été où il partait une dizaine de jours dans sa Provence natale, puis dans la dernière ligne droite donnant sur la fermeture de la librairie. Mais je ne me sens pas l'âme d'un libraire. Devant ce dilemme de « plus de boutique, pas vraiment libraire », je me suis dit qu'il fallait renouveler le concept ! Les clients ne viendraient plus chez le libraire, mais les livres iraient chez eux. Rien d'exceptionnel puisqu'Internet a favorisé la mise en contact entre vendeurs et clients. Deux exemples américains, Amazon et eBay, sont les fers de lance de cette idée. Actualités n'est plus un magasin, mais un site Internet assurant une prestation de services.

En imaginant cela, je n'ai pas fait grand chose. La route reste longue. En octobre 2007, le site libractua.fr est rédigé et mis en ligne. Il me faut réfléchir sur le nom du domaine principal sous lequel je veux créer le site. Plusieurs idées que j'évoque avec des amis n'ayant aucune affinité avec le monde des comics. Un nom est retenu. Fin novembre 2007, ce sera le dépôt du domaine http://www.actuastore.com. Je n'ai pas de suite débuté la programmation, bien trop occupé à m'attacher aux aspects commerciaux, équilibrage financier, formalités administratives ... enfin, les petits (car ils finissent toujours par se résoudre) tracas du gérant d'entreprise au début de son activité. je savais que je ne disposais pas de suffisamment de ressources temps / neurones pour m'attaquer à la programmation.
De la fin 2007 à, disons, l'été 2008, ce fut une période bien chargée qui m'a permis de trouver un certain rythme. Néanmoins, bien que n'étant pas informaticien, je commence à lire et à recueillir les informations de base sur le HTML, le PHP, le SQL, le référencement, la sauvegarde et la protection des données, etc. Je me fais aussi la main sur Adobe Photoshop. Curieusement, je me suis mis très tard à l'Internet (comme les comics d'ailleurs) car, à mes yeux, c'était un outil d'information mais j'avais tendance à préconiser le support livre. L'Internet n'a été installé qu'en septembre 2007 chez moi. Depuis, il est devenu indispensable.

Ann Nocenti & Chris Claremont
Chris Claremont & Ann Nocenti
N'ayant pas à tenir un magasin, j'ai pu ainsi travailler tranquillement (à tête reposée) à l'élaboration du site actuastore.com. Tel qu'il est maintenant, il laisse la part belle aux comics, ce qui ne sera pas pour déplaire à tes lecteurs. Quelques remarques qu'on m'a faites : il est tout d'abord très illustré et visuel, il a été pensé dès le début comme bilingue (d'ailleurs, si on visite le site en anglais, on s'aperçoit que les textes et images diffèrent de la version française), il est également informatif quant à l'histoire des comics et de certains créateurs, ne se cantonnant pas uniquement à l'aspect de vente. La construction du site m'a pas mal occupé d'avril 2008 à janvier 2009, à la fois côté structure et côté enrichissement du catalogue. Il reste une de mes fiertés. Alors qu'un an et demi avant, j'ignorais vraiment tout de cet univers. C'est une expérience personnelle géniale et fortement instructive quand j'y repense.

Ai-je perdu des clients ? Oui, mais pas lié « au nouveau mode de fonctionnement ». L'un est parti faire un tour du monde à pied en groupe ; c'était un projet personnel qu'il avait dans la tête depuis plusieurs années, il a passé une année pour le mettre sur pied et lorsque l'on s'est vu, il m'a dit que sa durée prévisionnelle était ... indéterminée ; seuls les premiers visas pour certains pays étaient « calés » : un groupe, les aléas, les difficultés pour obtenir ceux de certains pays, etc sont autant de sources d'imprévus. Est-ce-que ma blacklist est longue ? Non. Et puis, soyons optimiste, j'en ai également de nouveaux.

Qu'est-ce qui fait la particularité de libractua.fr par rapport à tous les comic-shops physiques de Paris et de Navarre ? Quels sont les avantages à venir chez toi ? Je sais qu'on peut précommander ses comics à travers le Previews, sera-t-il possible de le faire par le biais du site ? Et pour les back-issues, comment ça se passe ?

Mmm, libractua est un raccourci pour un site, à ce nom je préfère la dénomination « Actualités ». De même, j'ignore d'où provient ce mot « comic-shops » que je n'emploie jamais car il me semblait que les anglo-saxons disent plutôt « comic-stores ». Au-delà de la terminologie de « clients », la plupart sont avant tout des gens que j'ai rencontrés chez Pierre et avec lesquels j'ai parlé / discuté sur un même pied d'égalité en tant que « clients de Pierre ». Laurent Bruschi est également de ceux-là. Ce qui me distingue d'eux, c'est que je centralise leurs sollicitations mensuelles comics. A l'heure actuelle, Actualités est comme une association de gens qui sont fans de comics (enfin pas exactement, dans la mesure où certains de mes clients veulent des livres en français).
Ce qui la différencie des autres magasins ? Le résultat du fait de n'être pas une librairie physique se traduit par la désignation de « pure player » au sens du jargon Internet. Je pense que le plus réside véritablement dans la qualité de la prestation de services et de la communication. Qu'en penses-tu ?

En fait, je fournis gratuitement le Previews à mes clients. Et ils me retournent leurs listes. Comme tu le sais, le marché des comics U.S. est composé de plusieurs centaines de parutions mensuelles, de magazines, de merchandising et devenu tel qu'il n'est pas possible de tout avoir. C'est l'utilité du Diamond Previews qui permet de précommander ce qu'on a repéré dans le catalogue. Pour moi, cela me permet d'ajuster au mieux les quantités. Pour le client, c'est la garantie de ne pas rater le moindre numéro de ses séries préférées. Tu n'imagines pas à quel point cela complique les choses lorsqu'on me demande un comics à petit tirage après sa parution. (NdMD : Non, je n'imagine pas, c'est pour cela que je tente le coup de temps en temps !)

Les oldies, c'est la richesse d'Actualités ! Ai-je mentionné que Pierre fût l'un des premiers à importer des comics U.S. en France ? Le seul problème des back issues : elles ne sont pas encore listées, ni recensées sur le site. Beaucoup de comics de la période 1972 au début des années 2000. Du Silver Age aussi. De toute manière, c'est un de mes domaines de prédilection.

Quels sont les fers de lance de la librairie dans un futur proche ?

Pierre Scias & Chris Claremont
Pierre Scias & Chris Claremont
Pierre fût un pionnier dans l'import de comics U.S. et Underground. L'offre de comics est pléthorique à Paris : il y a davantage de magasins au mètre carré qu'à Londres ou à New York alors que les gens ne sont pas nécessairement anglophones. Un comble, non ? Je pense qu'il y a bien 9 librairies intra-muros dans la capitale. Je connais les gens qui s'en occupent et ils me connaissent. Mais là, avec actuastore.com, j'ai un peu l'impression d'être l'un des tout premiers à proposer une offre principalement composée de comics + back issues en version originale en France.

L'Internet permet d'être accessible indifféremment pour des personnes vivant à Paris, en province ou à l'étranger. Une des grandes forces du e-commerce, c'est de pouvoir commander de chez soi et d'un simple clic. Encore est-il que, quand on pense à un magasin de comics sur Internet, les noms qui surgissent immédiatement à l'esprit sont majoritairement américains. L'existence du site actuastore.com est désormais d'apporter une alternative. Certes, des modifications et des corrections mineures de code vont continuer à être implémentées.

Tu m'as parlé d'un concours géant ?

A proprement parler, ce n'est pas un concours, juste un jeu qui va s'étaler sur toute l'année 2009 (voir la section « Enigme 2009 ») et dont les règles sont expliquées sur le site avec naturellement des comics à gagner. Il est le prolongement d'une idée survenue en 2008 et on entend bien continuer l'année prochaine (et pour dire les choses, Orc_nRoll et Lusiphur sont déjà attelés à la recherche du concept).

Et puis, il y a aussi Sn[i]³kt ! ™. Qu'est-ce-que c'est ? Disons, un petit projet collaboratif par de gentils chroniqueurs volontaires.

Et puis l'idée d'un lieu en dur commence à pointer du nez.

En tant que vendeur de comics, tu dois certainement en lire personnellement quelques-uns. Quels sont tes séries ou tes auteurs préférés ?

Effectivement, je lis une quinzaine de news comics par mois. Difficile de perdre ses habitudes quand on a été 15 ans client chez Pierre. En grande partie du super-héros mainstream chez DC et Marvel Comics. Comme beaucoup, j'ai commencé par Strange avant de découvrir les comics U.S. dans la librairie Album rue Dante. J'ai progressivement basculé sur les versions originales et ne lis aucune parution française. Sans doute dû à ma synchronisation avec le rythme des histoires U.S. et donc ensuite, il est difficile de revenir lire des versions françaises à la traîne. Totalement ignorant de ce qui sort actuellement en France, j'ai déjà lu les fins de Secret Invasion et de Final Crisis et aborde les évènements Dark Reign et Blackest Night.

Côté news comics, la série Green Lantern scénarisée par Geoff Johns, dessinée par Ivan Reis est d'une grande qualité et me fait penser aux grandes sagas cosmiques d'antan. Chez DC, curieusement, je n'ai jamais trop accroché sur Superman, Batman ou Wonder Woman. Je suis resté sur ceux dont j'ai découvert les aventures dans les poches Arédit : Hal Jordan, Barry Allen et la Justice League of America. J'admets assez mal connaître la J.S.A. malgré tout le bien dont j'entends parler.
Chez Marvel, pour moi, le haut de la pile c'est Fantastic Four de Mark Millar / Bryan Hitch et Captain America par Ed Brubaker. Et, malgré le n'importe quoi du deal avec Mephisto, je trouve que la série Amazing Spider-Man n'est pas si mauvaise en ce moment.

Dans ma liste d'auteurs préférés : j'ai apprécié Alan Moore sur V for Vendetta et Swamp Thing, Garth Ennis sur Preacher, mais ces dernières années, j'avoue un penchant pour tout ce que fait Warren Ellis chez Avatar Press. Le bonhomme est un génie de l'écriture et déborde d'imagination. Les esprits retors diront qu'il s'informe à longueur de journée sur Internet via sa page personnelle, son blog, etc. C'est un touche-à-tout, aucun genre ne le rebute … Excentrique, cultivé, inventif, insolent, percutant, (voire parfois malsain), j'adore !

Côté oldies, j'aime la série en format Essential qui reprend The Savage Sword of Conan chez Dark Horse Comics (il me faut en moyenne 5 soirs pour lire le pavé de 500 pages, mais le trait de John Buscema, Alfredo Alcala et de Tony de Zuniga en noir et blanc est une pure merveille). Là, je vais attaquer The Losers par Jack Kirby. J'avais essayé, il fut un temps, de compléter le run en comics originaux (et je dois en avoir la moitié de ces fameux Our Fighting Forces) mais les comics de guerre sont assez rares. La sortie de l'Omnibus représente l'occasion rêvée de les lire d'une traite. Pas de mystère, mes dessinateurs favoris sont ceux qui ont initié le Silver Age chez DC et Marvel Comics.

John Romita Jr. & Dan Green
John Romita Jr. & Dan Green
N'ayant pas la connaissance infuse de ce média qu'est le comics américain, il est évident que d'avoir discuté avec Pierre et de nombreux amateurs dans sa librairie m'a beaucoup appris sur le sujet. Plutôt de la génération des fans de John Byrne, George Pérez ou Jim Starlin (c'est-à-dire autour du Bronze Age), Pierre m'a fait partager son admiration pour Jack Kirby au-delà des seuls Fantastic Four (parus chez les Editions Lug). Ces derniers temps, je découvre avec bonheur le comic-strip des années 1950, genre sur lequel se sont lancés plusieurs éditeurs récemment tels que Checker Publishing, Classic Comics Press, Fantagraphics et IDW Publishing. Par exemple : totalement méconnu pour moi il y a de cela 2 ans, Mary Perkins' On Stage par Leonard Starr est vraiment agréable à lire. Ma pile de lecture est assez conséquente, j'ai du retard. Les comics et trade paperbacks se lisent vite mais les volumes plus épais (du type Essential, Showcase Presents, Masterworks) nécessitent du temps libre dont je ne dispose pas nécessairement. Mais je me suis toujours dit qu'il fallait que je corrige une lacune du côté des Krazy Kat & Ignatz, EC Comics, Creepy, Eerie et Epic Illustrated. Du peu que j'en ai vu, ça semble être incontournable !

As-tu découvert des séries grâce aux précommandes de tes lecteurs ? As-tu déjà été surpris par certaines demandes ?

Dans ce que les gens commandent, il est vrai que je suis parfois surpris. Dis voir, n'est-ce pas toi qui vas dénicher de petites perles, par exemple Hack / Slash, dans les recoins les plus invraisemblables du Previews ? (NdMD : Hack/Slash, quand même, ça n'est pas ce que je commande de plus obscur ...) Les éditeurs indépendants de plus petite envergure proposent des titres de niche. Je suis quand même épaté par le tsunami des zombies qui ont envahi non seulement le Marvel Universe mais le média tout entier ! L'autre pendant de cette déferlante est le comics avec Jésus-Christ comme héros. Sigh, pour paraphraser Ben Grimm a.k.a. The Thing : « Wotta revoltin' development this is ! ».
Sinon chez Evil Twin Comics, dès que les Comic Book Comics sortent en relié, je me jette dessus. Tu n'imagines pas le nombre incalculable de fois où j'ai dû recommander les graphic novels d'Action Philosophers ! Cette grande diversité fait le charme du comics. Elle correspond à la multiplicité des goûts et intérêts du lectorat. Du moment que c'est de qualité, c'est une bonne chose et on ne peut que s'en réjouir.

Bon courage à toi et à libractua.fr, A,B&C / http://www.actuastore.com pour la suite !

Merci. Une petite bière pour se remettre ? (NdMD : Attends qu'on se revoit !)